L'histoire de Paul Gauguin & Gustave Fayet

Paul GAUGUIN (1848-1903)
Composition, 1900
Gravure sur bois
Aucune autre impression connue de cette composition
Impression en noir réalisée par l’artiste à partir de 3 matrices sur le verso d’une enveloppe. 
Lisible dans les 2 sens, formant des oiseaux qui se font face avec éléments ornementaux ou, quand on la retourne, un visage aux yeux fermés portant un «  troisième œil » au centre du front.

Sur l’enveloppe, adresse manuscrite de la main de l’artiste à 
«  Monsieur Gve Fayet
9, rue de Capus
Béziers
(Hérault) 
»
Timbre de la République Française, Postes des Colonies, 
Etablissements de l’Océanie, 15 centimes, de couleur bleue
Cachets sur le timbre et sur l’enveloppe «  Papeete, Tahiti, 19 DEC 00  »
(19 décembre 1900)
Cachet de réception  en bas de l’enveloppe: 
«  Paris - Départ 19 JANV 01 -1H30  »
(Rue du Départ -19 janvier 1901)
120 x 92 mm

Estimation  : 4 000 / 6 000 Euros 

Bibliographie  : Impressions partielles similaires répertoriées dans les ouvrages suivants  :
Marcel Guérin  : L’œuvre gravé de Gauguin, Alan Wofsy Fine Arts, San Francisco, 1980. Pp. 26-27, N°85. 
Partie supérieure réutilisée par Gauguin en 1901 comme en-tête de lettre adressée à son ami G. Daniel de Monfreid
Elisabeth Mongan, Eberhard W. Kornfeld, Harold Joachim  : Paul Gauguin, Catalogue raisonné of his Prints, Galerie Kornfeld, Bern, 1988. 
Pp. 260-261, N°75  
Partie supérieure utilisée sur plusieurs lettres adressées en 1900-1901 à G. Daniel de Monfreid ainsi qu’à Charles Morice et Ambroise Vollard.
Pp. 262-263, N°77
Partie centrale, dite «  Ornement  » utilisée en 1900 sur la première page d’une lettre à G. Daniel de Monfreid
Dario Gamboni  : Paul Gauguin au «  centre mystérieux de la pensée  », Les presses du réel, coll. Œuvres en sociétés, Dijon, 2013. 
Partie supérieure illustrée en cul-de-lampe de l’ouvrage



Au premier regard, cette gravure apparaît comme un cadavre exquis, ludiquement équilibré par les plis de l’enveloppe. 
En agençant ses blocs de bois, Gauguin s’amuse à recomposer pour son ami et mécène Gustave Fayet, sa figure moustachue dont les yeux fermés sont des ailes d’oiseaux, les narines formées par leurs cous et l’encadrement du visage par leurs longues plumes.
Son épaisse chevelure ornée au centre par un grand bandeau marquisien (Fig.1 Uhi kana, Musée de l’Homme, Paris) ou par une belle coquille nacrée similaire à son «  Idole à la Perle  » 1892. (Fig.2 Musée d’Orsay, Paris) vient justifier le cartouche contenant son monogramme. Les ornements et le collier serpenté décoré soit d’une amulette soit d’une pierre sertie, équilibrent harmonieusement cette composition unique.

La particularité de cette représentation réside dans le fait que comme sur le pot céphalomorphe-autoportrait, Gauguin ferme les yeux sur ce visage pour donner encore plus d’acuité au grand troisième œil dont la pupille est tournée vers le haut comme sur la «  Vision première  » de Redon (Fig.3)

Dans son épilogue intitulé «  l’œil du Tournesol  », Dario Gamboni propose une interprétation de la représentation de cet œil placé au milieu du front  ; «  une image de cet œil dont la force d’impulsion personnelle suggère au cerveau une force d’expulsion  » et également   « un détail centrifuge…(qui) exprime le passage de l’intromission à l’extramission, de l’œil qui reçoit les impulsions à celui qui les donne..  », ou encore «  …un nœud vital vers lequel convergent… les centres nerveux qui étaient la cause génératrice des sensations, présidaient aux mouvements spontanés, et selon leur organisme spécial étaient centres nerveux de la vue, de l’ouïe , de l’odorat, du goût, de la pensée, de la volonté  ».
Un organe vital à la fois réceptif et créateur dont la pupille clairement  tournée ici vers le haut vient le souligner.

Il est à noter aussi ce que dit encore Gamboni «  les yeux et les visages sont les motifs les plus répandus dans l’art marquisien  » - dont Gauguin avait une grande connaissance et que «  mata  » signifie à la fois visage et œil.

















Fig 1
















Fig 2

















Fig 3

GUSTAVE FAYET (1865-1925)
Cet agencement de gravures est pensé par Gauguin pour son destinataire Gustave Fayet  : peintre, céramiste, industriel, vigneron, propriétaire de nombreuses propriétés dont l’Abbaye de Fontfroide, mécène, visionnaire exceptionnel de l’art moderne.
Il est surtout celui qui va devenir le plus grand collectionneur de Gauguin qu’il va entretenir financièrement  jusqu’à la fin de ses jours. Il possédera plus d’une centaine d’œuvres de l’artiste dont de nombreuses estampes.

Ce début des années 1900 est charnière pour Fayet, il succède à son père dans les affaires et s’entoure d’amis spirituels tels que l’écrivain André Suarès, le peintre et collectionneur George-Daniel de Monfreid qui lui présente Gauguin, ainsi que le grand collectionneur et occultiste Maurice Fabre qui le fait rencontrer Odilon Redon. Il le fréquente beaucoup en 1900, c’est à cette époque qu’il commence à collectionner avec frénésie celui qui l’initie aux sciences occultes et qui lui permettront d’accéder au «  centre mystérieux de la pensée  » qui obsédait Gauguin afin de créer à partir de ce qu’il sentait plus que ce qu’il ne voyait.

1901 est l’année où Fayet décide d’organiser le Salon de Béziers alors qu’il est conservateur du Musée de la ville, réunissant des artistes «  exclus  » de l’époque  : Cézanne, Gauguin, Van Gogh, Redon et Picasso  qui décoreront plus tard son hôtel particulier parisien. 
En se référant aux cachets figurant sur notre enveloppe, on peut supposer que ce courrier envoyé à travers les mers, devait en être un des motifs.