François de CHATEAUBRIAND

Lettre autographe, Val de loup 17 juillet [1816], à la duchesse de Duras; 3 pages et demie in-4. Belle lettre sur DE LA MONARCHIE SELON LA CHARTE. «Quoi, chère soeur, vous partiriez sans moi pour l'Italie? Eh! Comment voulez-vous que je vous y suive? Ne suis-je pas lié, enchaîné par mille entraves; sans argent, sans liberté, sans volonté! Je ne rêve que de quitter la France; j'en ai cent pieds par dessus la tête. Pourquoi notre ami Blacas a-t-il pris ma place! C'étoit Rome qu'il me falloit; on me l'eût donné de grand coeur pour se débarrasser de moi. Que vais-je donc devenir? Je n'en sais rien. Mon ouvrage [De la Monarchie selon la Charte] est presque achevé: si je le publie, je rendrai je crois un service immense à la France; je l'empêcherai peut-être de périr, mais ce sera à mes dépens. J'ai tout dit; il falloit tout dire, pour faire quelque chose digne de mes autres sacrifices. Jamais, je crois, je n'aurai prêché un langage plus élevé et dit des vérités plus nobles sous tous les rapports; mais en réclamant à la fois la Religion, la liberté, la morale et la justice; en dévoilant tous les faux systêmes, en montrant pourquoi on nous a perdus, pourquoi on nous perd, et pourquoi on nous perdra, je cours le risque de me briser. Décius se jeta dans l'abyme, mais il étoit jeune; mes cheveux blancs commencent à me rendre timide. Si j'étois dans une autre position de fortune, mon parti seroit bientôt pris: je publierois l'ouvrage et le même jour je partirois pour vous soigner en Italie. Ce seroit mon testament et mes adieux à la France. Ils verroient qu'aucun intérêt personnel ne me fait parler, puisque je m'éloignerois d'eux, et ne leur demanderois rien. - J'espère encore, chère soeur, que Bourbonne vous fera plus de bien que Vichi. Mais partout où vous irez, partout où vous serez, mes voeux, mes pensées, vous suivront; et vous serez sûre d'avoir quelque part un coeur qui sent tout ce que le vôtre peut sentir de plus secret et de plus intime»... (CG III 766)